Acupuncture, ostéopathie… Les multiples effets néfastes des médecines alternatives

Article paru dans L’Express le 23/07/2023 et écrit par le Professeur Edzard Ernst, spécialiste des thérapies alternatives, lien de l’article: https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/acupuncture-osteopathie-les-multiples-effets-nefastes-des-medecines-alternatives-SVJ3WCNF3NGFHGVKDG64RMJ6CQ/

Souvent présentées comme indolores et sûres, les pseudo-médecines peuvent se révéler très risquées, et ce pour de multiples raisons, explique le Pr Edzard Ernst.

Les soins de santé conventionnels ont fait d’énormes progrès et sont sans doute plus efficaces que jamais pour diagnostiquer et traiter les maladies. Alors pourquoi tant de gens leur tournent-ils le dos et consultent-ils des praticiens alternatifs comme les acupuncteurs, ostéopathes, iridologues, aromathérapeutes, etc. ?

Cette troublante question n’a pas une, mais de multiples réponses. L’une des principales est la popularité de l’idée selon laquelle les médecines alternatives sont douces, agréables et inoffensives. Chaque fois que je parle de ce sujet à quelqu’un, j’entends quelque chose du type : « D’accord, ces thérapies ne sont peut-être pas parfaites, mais au moins elles ne font pas de mal ». C’est précisément ce postulat qui attire les patients lassés par les effets indésirables parfois graves des médicaments modernes. Les praticiens des médecines douces font bien sûr tout leur possible pour que nous n’oubliions pas ce message séduisant. Malheureusement, il n’est pas seulement faux, mais aussi dangereux. Certes, un massage d’aromathérapie est agréable et une séance de réflexologie peut être relaxante. Mais les médecines alternatives ne sont pas non plus exemptes de dangers. Et leur risque de provoquer des effets secondaires indésirables est plus complexe que la plupart d’entre nous ne l’imaginent.

Dangers pour le foie, les artères, les poumons…

Le risque le plus évident est celui d’un préjudice direct dû aux effets indésirables du traitement appliqué. Certaines thérapies alternatives, comme l’homéopathie ou la guérison divine (ou « guérison par la foi »), ont très peu de chances de provoquer des effets indésirables directs. Mais ce n’est malheureusement pas le cas de beaucoup d’autres. Comme certains remèdes à base de plantes qui peuvent endommager le foie.

Par exemple, le curcuma, qui est particulièrement populaire de nos jours, est présenté comme un médicament miracle capable de guérir de multiples troubles, dont des maladies graves. Pourtant, une série de cas récents suggère qu’il peut causer des dommages – parfois graves dans certains cas – au foie, comme le montre cette étude publiée en 2023 dans la revue scientifique The American journal of medicine. Quant aux manipulations de la colonne vertébrale utilisées par les ostéopathes et les chiropraticiens, elles ont régulièrement été associées à des dégâts graves aux artères qui alimentent le cerveau, ce qui peut entraîner des accidents vasculaires cérébraux, voire la mort, indique cette étude que j’ai publiée en 2010 dans l’International journal of clinical practiceEt lors de séances d’acupunctures, une aiguille peut aussi perforer le poumon, ce qui, à son tour, entraîne des complications qui peuvent se révéler mortelles, révèle cette série de cas publiée dans l’International journal of emergency medicine, en 2022.

Des diagnostics peu fiables

Lorsque l’on évoque les médecines alternatives, on pense presque automatiquement aux traitements et on oublie que les praticiens alternatifs utilisent aussi un large éventail de techniques de diagnostic inconnues des soins de santé conventionnels : iridologie, kinésiologie appliquée, diagnostic par la langue, etc., que j’évoque dans mon livre Médecine alternative : Une évaluation critique de 202 modalités (ed. Springer International Publishing). Ainsi, un patient en parfaite santé peut se voir diagnostiquer telle ou telle maladie, à tort. S’ensuit alors une série de traitements inutiles à l’issue desquels le praticien annonce fièrement la disparition d’une maladie qui n’a jamais existé. En conséquence de quoi une partie du porte-monnaie de son client disparaît, elle aussi…

Il existe des scénarios encore plus inquiétants, comme ceux où des praticiens affirment que leur patient est exempt de maladie alors qu’il est en réalité touché par les premiers stades d’une affection grave comme le cancer. Le précieux temps qui aurait pu être consacré au traitement précoce de la maladie par des soins conventionnels est alors perdu et, dans le pire des cas, le patient peut même mourir prématurément en raison du risque lié à une méthode de diagnostic alternative inutile.

Mise en danger d’espèce protégée et incompétences

Dans certaines formes de soins de santé alternatifs, comme la médecine traditionnelle chinoise, les praticiens aiment prescrire des produits issus d’espèces animales ou végétales en voie de disparition. « Il est très préoccupant de constater que la Chine est revenue sur l’interdiction des os de tigre et des cornes de rhinocéros décrétée il y a 25 ans, autorisant ainsi un commerce qui aura des conséquences dévastatrices à l’échelle mondiale. Le commerce de l’os de tigre et de la corne de rhinocéros a été interdit en 1993. La reprise d’un marché légal pour ces produits constitue un énorme revers pour les efforts de protection des tigres et des rhinocéros à l’état sauvage », estime Margaret Kinnaird, du Fonds mondial pour la nature (WWF).

Mais le risque le plus important est peut-être le préjudice indirect causé par les conseils donnés par des praticiens particulièrement incompétents. Un exemple que nous avons tous eu l’occasion de rencontrer pendant la pandémie de Covid-19 est la recommandation de naturopathes, d’homéopathes, de chiropracteurs et même de médecins pratiquant la médecine alternative de ne pas se vacciner, une pratique qui a d’ailleurs été sanctionnée par la justice, au Royaume-Uni. Cela paraît tellement évident qu’il ne semble pas nécessaire d’expliquer pourquoi les conseils dissuadant la prise de médicaments prescrits mettent en danger la santé des patients, mais dans le cas des vaccinations, il faut rappeler que les conséquences peuvent être graves, et que si la pratique est trop répandue, elle peut mettre en danger la santé de populations entières.

Un travail de sape contre la confiance dans les soins conventionnels

Enfin, il existe plusieurs autres problématiques qui peuvent sembler farfelues à première vue, mais qui sont malheureusement réelles et répandues. Par exemple, les dommages que les praticiens des médecines douces causent en médicalisant des états de mal-être insignifiants. Combien de fois avons-nous entendu un problème totalement mineur devenir extrêmement populaire parce qu’un praticien alternatif lui a donné un nom inquiétant, ou parce qu’il a estimé qu’une personne dans un mauvais jour serait un malade chronique ? Un estomac dérangé peut par exemple devenir un syndrome « de l’intestin perméable ». Une aversion alimentaire ? C’est une allergie. Un mal de dos passager ? Sans doute un lumbago chronique. Une mauvaise humeur se transforme en dépression et un conflit au travail devient un burn-out.

De même, il faut aussi souligner que les pratiques alternatives peuvent provoquer des dégâts, notamment parce qu’elles sapent la confiance dans la médecine fondée sur des preuves, dans la pensée rationnelle, ainsi que dans les progrès et de la recherche médicale. Les adeptes de la médecine alternative ont en effet tendance à croire que leur expérience personnelle est plus importante que les preuves scientifiques. Et les guérisseurs spirituels attaquent la rationalité en proclamant qu’il existe des énergies de guérison qui peuvent être canalisées et transmises d’une personne à l’autre. Les homéopathes, eux, se battent pour que les fonds de recherche soient détournés de la recherche conventionnelle afin de confirmer leurs idées invraisemblables. A cause de ces divers mécanismes, même les thérapies alternatives d’apparence inoffensives peuvent causer des dommages incalculables.

« La valeur d’un traitement médical n’est pas déterminée uniquement par son absence de nocivité »

Malgré tous ces arguments, des consommateurs de médecines alternatives convaincues de ses bienfaits avancent un ultime en répondant : « Il y a peut-être des risques, mais au moins ils sont bien moindres que ceux des médicaments conventionnels ». C’est peut-être vrai. Et si l’on veut donner un exemple extrême, l’aromathérapie est indéniablement beaucoup plus sûre que la chimiothérapie ! Mais l’argument n’en reste pas moins absurde. La chimiothérapie sauve incontestablement des vies, alors que l’aromathérapie n’apporte guère plus qu’une expérience agréable.

Ce que j’essaie de dire est simple : la valeur d’un traitement médical n’est pas déterminée uniquement par son absence de nocivité. Elle dépend surtout des bénéfices qu’il apporte. C’est pourquoi les experts parlent de l’importance primordiale de l’équilibre entre les risques et les bénéfices. Si une thérapie peut vous sauver la vie, vous êtes susceptible de supporter même les effets secondaires les plus inquiétants. En revanche, si un traitement n’a pas d’effets tangibles sur la santé, même un risque relativement faible fera pencher la balance risques/bénéfices vers le négatif, ce qui le rendra indésirable.

* Edzard Ernst est professeur émérite de l’université d’Exeter, au Royaume-Uni

Retour en haut