Un article publié dans l’Express : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/medecines-alternatives-la-recette-pour-reperer-les-etudes-cliniques-biaisees-par-le-pr-ernst-XW6HH5UIWVFEVHGXP33J7NYIXM/
Spécialiste de l’évaluation des traitements « non conventionnels », notre chroniqueur livre un petit guide méthodologique pour décrypter les travaux dont les résultats paraissent « trop beaux pour être vrais ».
Nous entendons cela presque tous les jours : « Une nouvelle étude a montré que le traitement XY est efficace ». Habituellement, nous ne remettons pas en question l’affirmation, et nous supposons que le traitement XY est effectivement efficace. Ce que nous considérons rarement, c’est que l’étude en question pourrait ne rien prouver du tout. Comme le fait d’être induit en erreur de cette manière conduit à de mauvaises décisions et peut donc s’avérer préjudiciable, il peut être utile d’essayer de comprendre certains pièges courants de la recherche clinique. Si ces biais peuvent bien sûr se retrouver dans tous les champs de la médecine, mes trente ans d’expérience dans l’étude des thérapies dites alternatives m’ont appris que la grande majorité des études dans ce domaine sont malheureusement affectées par l’un ou l’autre de ces subterfuges.
Biais n° 1 : Se passer de groupe contrôle
Si quelqu’un voulait vous tromper avec les résultats d’un essai clinique, l’option la plus simple serait de mener une étude sans groupe de contrôle. Dans un essai clinique, le groupe témoin est constitué de patients qui ne reçoivent pas le traitement testé. Ils servent de norme à laquelle les résultats du produit ou du soin peuvent être comparés. Selon la question précise de la recherche, ils peuvent, par exemple, ne pas recevoir de traitement du tout ou recevoir un placebo.
L’une des études les plus citées sur l’homéopathie montre que 71 % des patients ont ressenti un bénéfice clinique après un traitement homéopathique. Ses auteurs ont fièrement conclu que « l’intervention homéopathique a offert des changements de santé positifs à une proportion substantielle d’une grande cohorte de patients atteints d’un large éventail de maladies chroniques. » Je connais de nombreuses personnes qui ont été impressionnées par cette découverte et ont pensé que l’homéopathie devait être efficace.
Ce qu’elles n’ont pas compris, c’est qu’un tel résultat peut être dû à une foule de facteurs, par exemple l’effet placebo, l’histoire naturelle de la maladie (de nombreuses affections s’améliorent, même si nous ne les traitons pas du tout), la régression vers la moyenne (les extrêmes ont tendance à se rapprocher de la moyenne) ou les traitements que les patients se sont eux-mêmes administrés tout en prenant les remèdes homéopathiques. Il est donc tout à fait trompeur de faire des déductions causales à partir d’essais cliniques sans groupe de contrôle.
Biais n°2 : Oublier le « double aveugle »
Une astuce moins évidente pour générer des résultats faussement positifs dans un essai clinique consiste à omettre l' »aveuglement », c’est-à-dire à empêcher les participants de savoir s’ils ont été affectés au groupe traité ou au groupe témoin. Le but de l’aveuglement du patient, du thérapeute et de l’évaluateur est de s’assurer que leurs attentes ne peuvent pas affecter le résultat. Les patients qui espèrent une guérison vont régulièrement mieux, même si la thérapie qu’ils reçoivent est inutile, et les chercheurs pourraient voir les résultats avec des lunettes roses. Par exemple, selon une étude récente menée en Inde, l’acupuncture aurait un effet bénéfique sur l’amélioration de la fonction cognitive des étudiants. Mais comme les participants savaient qu’ils étaient traités, il est plus probable que ce ne soit pas l’acupuncture mais les attentes des étudiants qui aient influencé les résultats.
Biais n°3 : Ne pas répartir les participants de façon aléatoire entre les groupes étudiés
L’absence de randomisation (c’est-à-dire le fait de répartir les patients entre les groupes traités et témoins non pas par choix mais par une procédure aléatoire) est une autre source importante de biais. Elle peut facilement faire passer une thérapie sans valeur pour une thérapie efficace lorsqu’elle est testée dans un essai clinique. Si nous permettons aux patients ou aux responsables de l’essai de choisir qui recevra le médicament et qui recevra le traitement de contrôle, les deux groupes sont susceptibles de différer dans plusieurs variables (par exemple, la gravité de la maladie).
Cela peut alors facilement avoir un impact sur le résultat. Si, par exemple, les chercheurs répartissent à leur gré les patients d’un essai clinique entre le groupe de patients traités et le groupe témoin, ils peuvent, intentionnellement ou non, sélectionner dans le premier ceux qui ont plus de chances de répondre et affecter ceux qui ne répondent pas au second. Prenons l’exemple d’une étude qui a suggéré qu’un médicament homéopathique était un élément utile d’une thérapie symptomatique intégrée pour le rhume. Comme elle n’a pas été randomisée, le résultat n’est probablement pas dû à l’homéopathie mais à un biais. Seule la randomisation peut garantir que des groupes de patients comparables sont comparés, et l’absence de randomisation est susceptible de produire des résultats trompeurs.
Biais n°4 : Faire comme si l’effet placebo n’existait pas
En médecine alternative, l’une des astuces les plus populaires pour créer un résultat faussement positif (un résultat qui suggère qu’une thérapie inefficace est efficace) est l’utilisation du plan d’étude « A+B contre B ». Imaginez que vous avez une somme d’argent « A » et que votre ami possède la même somme plus une autre somme « B ». Qui a le plus d’argent ? C’est, bien sûr, votre ami : A+B sera toujours supérieur à A. Pour la même raison, les essais « pragmatiques » qui testent le soin plus le traitement standard par rapport au traitement standard seul vont toujours donner des résultats positifs. Par exemple, l’acupuncture plus le traitement habituel est plus que le traitement habituel et produira donc un meilleur résultat. Cela serait vrai, même si l’acupuncture est un pur placebo – car en réalité, un placebo est plus que rien, et l’effet placebo aura un impact sur le résultat.
Biais n°5 : Inclure trop peu de patients dans l’étude
Certaines études cliniques ne vérifient pas si le traitement est supérieur à un placebo (les experts parlent d’essais de supériorité), mais elles évaluent s’il est équivalent à une thérapie dont l’efficacité est généralement reconnue (les experts parlent d’essais d’équivalence). L’idée est que, si les deux traitements produisent des résultats positifs similaires, ils doivent tous deux être efficaces. Ces essais offrent toute une série de possibilités pour induire le public en erreur. Les chercheurs peuvent inclure trop peu de patients, de sorte que les statistiques sont incapables de détecter une différence entre le traitement et le groupe témoin qui, en réalité, existe. Un bel exemple est une étude prétendant montrer que l’Ibuprofène et l’homéopathie Belladonna 6C sont tous deux efficaces et procurent une analgésie adéquate, sans différence statistiquement significative. L’essai ayant inclus trop peu de patients, le résultat est très probablement dû à son manque de puissance pour détecter la différence. Il se peut aussi que le groupe témoin reçoive un traitement efficace mais sous- dosé. Les résultats d’une telle étude impliqueraient que les résultats d’un traitement inefficace sont égaux à ceux de la thérapie établie. Nous aurions ainsi l’impression que le produit testé est efficace même s’il ne l’est pas.
Biais n°6 : Ne retenir que les résultats qui arrangent les auteurs
Une autre option pour tromper le public consiste à sélectionner les résultats. La plupart des essais cliniques utilisent plusieurs mesures de résultats pour quantifier les effets. Par exemple, une étude sur l’acupuncture pour le contrôle de la douleur pourrait quantifier la douleur d’une demi-douzaine de façons différentes – la durée du traitement jusqu’à ce que la douleur ait disparu, la quantité de médicaments que les patients ont pris en plus de l’acupuncture, les jours d’arrêt de travail à cause de la douleur, l’impression du partenaire sur l’état de santé du patient, la qualité de vie du patient, la fréquence à laquelle le sommeil est perturbé par la douleur, etc. Si les chercheurs évaluent ensuite toutes ces variables, ils ont de fortes chances de constater qu’une ou deux d’entre elles ont évolué dans le sens qu’ils espéraient. Il s’agira le plus souvent d’un effet statistique dû au hasard. Pour tromper le public, les chercheurs n’ont qu’à axer leur publication sur les résultats qui, par hasard, sont apparus comme ils l’avaient espéré. Cela permettrait de tromper de nombreux consommateurs en leur faisant croire que même une thérapie inefficace est efficace.
Et si tout cela ne suffit pas…
Et enfin, si tout le reste échoue, il y a toujours la possibilité de fraude pure et simple. Les chercheurs sont humains et ne sont pas à l’abri de la tentation. Ils ont souvent des conflits d’intérêts ou peuvent estimer que les résultats positifs sont plus faciles à publier que les négatifs. Ainsi, face aux résultats décevants d’une étude, ils peuvent décider de les « embellir » ou même d’en inventer de nouveaux, plus agréables à leurs convictions, à leurs pairs ou à leurs sponsors.
La prochaine fois que vous entendrez « une nouvelle étude a montré que la thérapie XY fonctionne », cela vaudra peut-être la peine de poser quelques questions et d’examiner les nombreuses façons dont les chercheurs peuvent vous tromper avec des études cliniques apparemment rigoureuses. Au cas où vous trouveriez tout cela trop compliqué ou fastidieux, rappelez-vous simplement ceci : si cela semble trop beau pour être vrai, c’est probablement le cas.